R. Huguenin u.a. (Hrsg.): L’heure pour tous, une montre pour chacun

Cover
Titel
L’heure pour tous, une montre pour chacun. Un siècle de publicité horlogère


Herausgeber
Huguenin, Régis; Bernasconi, Gianenrico
Erschienen
Neuchâtel 2019: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
266 S.
von
Tissot Laurent

L’intérêt porté depuis plusieurs années aux affiches et aux annonces publicitaires comme sources historiques ne se dément pas. Nombreuses sont maintenant les études qui analysent comment les entreprises ont développé par l’image des stratégies vantant leurs produits, les arguments auxquels elles ont fait appel pour stimuler la consommation, ainsi que les codes – esthétiques, sociaux, genrés – sur lesquels elles s’appuient pour se singulariser dans un monde où les concurrents se pressent. Si l’histoire de la publicité horlogère et son iconographie ne présentent pas, à cet égard, de grandes différences avec les principaux courants que l’on peut apercevoir dans l’histoire plus large de la publicité et du marketing, le secteur méritait certainement l’exposition qui lui a été consacrée l’année dernière au Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds. L’ouvrage qui en est issu montre toute la puissance de frappe des marques qui, depuis la fin du XIX e siècle, se sont servies de l’affiche pour se créer une identité, matraquer le public ou plus simplement signaler leur excellence. Le parcourir, c’est donc aussi traverser un siècle et demi d’histoire horlogère qui ne se satisfait plus de la mise en évidence des performances technologiques, industrielles et commerciales. Il est vrai que, pendant tout le XIX e siècle et même au-delà, les industriels suisses ont eu la réputation – peut-être exagérée – d’être avant tout de très bons constructeurs à défaut d’être des vendeurs hors pair. Ils se conten- taient de leur compétence – ou de leur suffisance – pour affirmer à l’envi qu’un article produit est un article vendu. La réflexion s’arrêtait là.

Avec l’horlogerie, on se rend compte qu’il y a eu une réelle prise de conscience et qu’une véritable attention s’est matérialisée avec l’appel à des dessinateurs plus ou moins reconnus – artistes, peintres, illustrateurs – et à des supports variés pour assurer dorénavant une présence sur les marchés. Les différents articles réunis dans le volume en montrent toute la variété: la technologie, la bienfacture, le processus de production ou encore la fiabilité et la précision sont des thématiques qui sont récurrentes dans l’univers publicitaire horloger. Rien d’étonnant à cela pour des fabricants de montre ... encore fallait-il que le message passe sans ennuyer le destinataire. C’est dire que les réalisateurs se sont souvent heurtés à des défis de taille pour rendre compte de la capacité d’une montre à être considérée comme autre chose qu’un simple objet fonctionnel. Affirmer qu’elle est porteuse de valeurs et qu’elle s’inscrit dans une «modernité» qu’elle matérialise sur un poignet est plus facile à dire qu’à ... le faire croire et à convaincre le consommateur et la consommatrice que c’est vraiment le cas. Si le Cervin peut être facilement suggestif pour une publicité vantant les beautés touristiques de la Suisse, il l’est certainement moins pour stimuler l’achat de telle ou telle montre ... Comment par exemple illustrer la ponctualité ? Comment en faire une valeur sociale reconnue par tous et toutes? À quel type de public peut-elle s’adresser? Il en est de même du «prestige», notion très volatile s’il en est et qu’il faut ancrer dans des contextes sociaux, politiques, économiques où elle fait sens.

Nous ne pouvons qu’être admiratifs à cet égard devant la puissance de création de ce monde publicitaire, tant par l’image que par le texte. Le constat n’est pas simplement esthétique – certaines affiches sont vraiment d’une très haute qualité – mais il est aussi sur le ton (humour, gravité, légèreté, émotion, etc.) et l’allusion. On regrettera peut-être que rien ne soit dit sur le processus de publicité en lui-même – le passage à l’acte – si l’on peut dire: comment les dessinateurs travaillent-ils? Exercent-ils leur art en toute indépendance ou sont-ils à la solde de l’entreprise désireuse de se présenter sous tel ou tel aspect? Ne sont-ils que des transmetteurs – des passeurs d’idées – ou ont-ils un réel pouvoir d’appréciation et une autonomie dans leur élaboration publicitaire? Quelles sont les instructions données par le commanditaire? Qui façonne finalement l’image de l’entreprise et la représentation qu’elle veut donner de son propre produit: volonté préméditée à l’interne ou soumission à des créateurs externes? On voit très bien le résultat à travers la diffusion des publicités dans les journaux, à la télévision ou ailleurs, mais une analyse en amont aurait mieux permis de saisir les différentes phases de cette ‘construction’ publicitaire.

Il reste que cet ouvrage, au-delà de la synthèse très stimulante qu’il offre sur une activité – la publicité – devenue centrale au sein des entreprises horlogères, comble un vide historiographique, car il donne la mesure des subtilités et des nuances qui façonnent le sens d’un objet tellement banal qu’il en devient si précieux pour comprendre les sentiments qui habitent une société à un moment donné.

Zitierweise:
Tissot, Laurent: Rezension zu: Huguenin, Régis; Bernasconi, Gianenrico (dir.): L’heure pour tous, une montre pour chacun. Un siècle de publicité horlogère, Neuchâtel 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (3), 2021, S. 560-561. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00093>.

Redaktion
Autor(en)
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in
Weitere Informationen